Le manuscrit
- Constance S.
- 17 mai 2024
- 2 min de lecture
Le nom de Luke Johnson était célèbre. L’auteur avait émergé il y a quelques années sur le devant de la scène littéraire. Sa plume décapante, couronnée de multiples distinctions, était encensée par les critiques. Les best-sellers s’enchaînaient et sa notoriété ne cessait d’augmenter. Il était devenu en quelque temps l’auteur le plus vendu et le plus lu de la décennie.
Il recevait quotidiennement des lettres élogieuses de ses admirateurs et de nombreux manuscrits provenant d’apprentis auteurs souhaitant obtenir ses conseils. Alors que ses réponses au courrier de ses fans étaient empreintes de courtoisie, Luke cultivait une joie mordante à critiquer les ouvrages qu’il recevait, assurant à leurs auteurs qu’ils étaient dépourvus de talent et qu’ils pouvaient abandonner tout espoir de se faire un jour publier.
Un matin, le facteur sonna. Luke venait de recevoir un courrier recommandé. Un manuscrit relié atterrit entre ses mains. Curieux, il s’enferma dans son bureau et entama la lecture du premier chapitre. Dès les premières lignes, un sentiment de familiarité le saisit. Il avait l’impression de connaître cette histoire. Il était certain de l’avoir déjà lue. Il en mettrait sa main à couper.
Il poursuivit sa lecture, malgré l’heure tardive. L’impression de déjà-vu s’amplifia au fil de l’intrigue. Arrivé à la fin de l’ouvrage, il décolla les deux dernières pages qui semblaient comme scellées entre elles. La fatigue le faisait bâiller et ses paupières étaient lourdes et commençaient à se fermer toutes seules, mais l’histoire le tenait tellement en haleine qu’il ne parvenait pas à lâcher le livre. Il arriva au point final aux premières lueurs de l’aube. La conclusion restait prévisible et le style de l’apprenti écrivain demeurait, malgré tout, pompeux et convenu. Le manuscrit s’achevait sur une note de l’auteur.
Je prévois votre réaction : mon roman est médiocre et mon talent inexistant. Je le sais, car c’est ce que vous m’avez affirmé l’an passé, lorsque je vous ai envoyé mon premier jet. Certes, vous professez les mêmes critiques à tous les jeunes auteurs désireux de se lancer, mais je ne suis pas d’accord avec cette généralisation. J’ai mis toute mon âme dans l’écriture de ce roman, je suis tout dévoué à mon art. Votre réponse acerbe m’a plongé dans le désarroi le plus profond et je n’ai pas compris votre mépris. Aujourd’hui, j’ai décidé de vous faire un petit cadeau. Vous avez réussi à décoller les deux dernières pages, n’est-ce pas ? Elles contenaient de l’arsenic. Vous ressentez de la fatigue ? C’est normal, c’est l’un des effets secondaires avant que vous ne rendiez votre ultime soupir…
Bien à vous,
Un admirateur
Comments