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  • Photo du rédacteurConstance S.

L'écrivain

Paul Kennedy, écrivain de quarante-six ans, était assis à son bureau. En mal d’inspiration depuis son dernier roman qui avait connu un succès mitigé, il se tenait la tête entre les mains. Son bureau était son sanctuaire, l’endroit où il pouvait passer des heures et des nuits entières à coucher des mots sur le papier. C’est ici qu’avaient vu le jour ses premiers best-sellers, mais aussi ses échecs commerciaux. Ses thrillers et ses histoires mystérieuses passionnaient des générations de lecteurs qui étaient conquis par sa plume.

Après six romans salués par la critique qui lui avaient valu les éloges de ses pairs, Paul était désormais en perte de vitesse. Malgré un relatif succès, les ventes de son dernier livre n’avaient pas été à la hauteur de ses espérances. Décidé à se remettre en selle, l’auteur luttait contre le syndrome de la page blanche. Les idées qui autrefois se bousculaient dans son esprit semblaient maintenant se dissoudre comme des mirages insaisissables. Un cauchemar qui le poursuivait dans ses heures les plus sombres. Quand il entrait dans une période créative, le comportement de l’écrivain changeait. Il passait son temps enfermé dans son bureau à écouter de la musique classique. Son épouse faisait les frais de son irascibilité et il s’éloignait de ses amis, prétextant que cela nuisait à son art. Sa table de travail était ensevelie sous des piles de feuilles froissées, de stylos éparpillés, des bouteilles vides de whisky.

Alors qu’il était en train de jeter ses brouillons dans la corbeille, une sonnerie attira son attention. Il venait de recevoir un e-mail. Il ouvrit son ordinateur et découvrit un message anonyme. Étonné, il cliqua dessus. Le courriel provenait d’une femme qui lui témoignait son admiration. Elle chantait ses louanges et lui révélait comment chacun de ses mots résonnait en elle, comment ses personnages avaient été une source d’inspiration pour elle.

Interloqué, mais touché par ces paroles chaleureuses, Paul se décida à répondre à la dénommée Clara. Il fut étonné qu’elle se manifeste presque en suivant. Une correspondance régulière s’installa entre les deux et Paul laissa de côté quelque temps l’écriture. Peut-être que ses échanges avec la jeune femme lui insuffleraient des idées pour son futur roman.

L’auteur se surprit à attendre les e-mails de son admiratrice. Leurs discussions virtuelles tournaient beaucoup autour de la littérature. Paul conseillait à Clara des œuvres classiques et contemporaines et elle lui suggérait des lectures en retour. Il savait qu’il ne faisait rien de mal, mais l’écrivain restait secret sur cette correspondance, préférant laisser sa compagne dans l’ignorance. Cette attention quotidienne lui faisait du bien et flattait son ego blessé par l’échec récent qu’il venait de rencontrer. Clara lisait en lui comme un livre ouvert. Elle le comprenait au-delà des mots.

Au fil du temps, le ton qu’utilisait la jeune femme dans ses e-mails changea. Elle commençait à se livrer à Paul et à lui dévoiler des détails de sa vie personnelle. Il semblait déceler en filigrane les sentiments de son admiratrice. Les semaines passaient et les courriels devenaient de plus en plus fréquents et intrusifs. Clara lui envoyait des idées pour son prochain roman en lui décrivant des moments intimes, qui les mettaient tous les deux en scène, tout droit sortis de son imagination débridée. Au début flatté, Paul commença à éprouver un certain malaise dès qu’il voyait le nom de sa correspondante s’afficher dans sa boîte de réception. Il se sentait incommodé par le ton libre et familier qu’elle employait, comme si tous les deux avaient franchi un cap dans l’intimité. Il était clair que Clara se montrait de plus en plus insistante et Paul était décidé à mettre un terme à cette correspondance. Lui, l’écrivain, n’aurait aucune difficulté à trouver les mots pour éconduire son admiratrice.

Un jour, alors qu’il était en train de boire son troisième café de la matinée, il ouvrit ses e-mails pour découvrir un nouveau message de Clara. Son cœur faillit manquer un battement lorsqu’il vit, en pièce jointe, une photo de la jeune femme, tout sourire, devant le hall d’entrée de son immeuble new-yorkais. Comment avait-elle pu trouver son adresse ?

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